NOTES DE CONCEPTION









Elle n'est pas indispensable pour apprécier les livres, mais elle intéressera ceux qui sont curieux de mon travail, en espérant répondre à quelques-unes de vos interrogations.
Dans Chevaliers Noirs, les
protagonistes sont assez éloignés de l’image idéalisée du chevalier, à laquelle
beaucoup s'attendent sans doute. Ils sont plus proches des chevaliers des
origines (des 10e – 11e siècles), qui furent avant tout des
combattants, parfois des brutes avides de terres et de fortunes tel Bohémond au
Proche-Orient. C’est plus tard que la chevalerie est devenue une caste, puis un
comportement, puis au fil des siècles une référence, et enfin synonyme de galanterie.
Le point de vue de la saga consiste à rester aussi pragmatique que possible, très éloigné des idéaux romantiques.
Toutefois les Chevaliers Noirs
de ces romans, s’ils sont proches de ceux des origines, gardent quelques
principes et n'ont pas qu'une seule facette. Une partie de leur intérêt réside
dans leurs ambiguïtés, leurs contradictions, et leurs failles.
Parfois les protagonistes
semblent sortis d’un roman noir, une de ces « detective stories » à l’américaine
des années 40 ou 50. Les « héros » ont des traits dérangeants, quelque
chose à cacher ou à se reprocher. (Ils ont d'ailleurs presque tous quelque chose à cacher.) À quelques exceptions près, il n'y a pas
vraiment de « méchants » dans Chevaliers Noirs, juste des personnalités qui entrent en conflit. On est plutôt loin du manichéisme. Finalement, on ne sait pas toujours très bien qui est qui, ni de quel
côté se situer, et qui on voudrait soutenir.
De plus on rentre rarement dans
leur tête. J'ai souvent évité les tournures stylistiques telles que : « Il dit ceci et
pensa le contraire ». Dans cette saga le lecteur est comme placé sur site à
côté des personnages. Il ne peut pas toujours savoir s'ils mentent, ou servent
une version tronquée de la vérité. Il ne sait que ce que les protagonistes veulent
bien dire sur le moment, jusqu'à ce qu'un événement vienne remettre leurs propos en question…
Ce sont des thrillers à suspense, avec une intrigue nerveuse, des événements en trompe-l’œil, des fausses pistes et des manipulations.
Ne soyez pas surpris si l’intrigue prend subitement des virages, voire tourne à 180 degrés… Si les personnages ne font pas ce que vous attendez, ou ne se comportent pas comme prévu. Ils font des choses tout à fait cohérentes, voire redoutablement cohérentes, mais au début le lecteur est loin de tout savoir et n'a pas toutes les cartes en main.
Ne vous inquiétez pas, vous obtiendrez suffisamment de cartes par la suite (mais pas trop vite), et le reste vous le déduirez de vous-même.
Toute l’histoire s’articule sur plusieurs livres qui se suivent, avec un arc et des rebondissements. Mais ce n’est qu’une seule vaste histoire, racontée en plusieurs livres. Évidemment, planifier les fils de l’intrigue pour l'ensemble posait de vastes problèmes de conception, qui ont nécessité beaucoup de temps à résoudre. C'est une création originale, pas une trame qui suit une formule conventionnelle.
Mon but est d’écrire ces volumes, avec un souffle qui vous emportera jusqu’au final du dernier. Donc en allant crescendo.
L’ensemble de la saga est aussi conçu comme un symphonie, où le thème musical de la fugue est omniprésent : des détails importants sont annoncés discrètement, puis reviennent avec force, prennent de l’ampleur… En ce sens, chacun des livres répond aux autres, et bâtit sur les autres. Ils dialoguent discrètement ensemble, bien que le lecteur ne s’en rendra pas compte tout de suite. Du moins pas forcément…
Dans un roman historique, le
cadre n’existe plus, et quantités de détails sont inconnus du lecteur. Il faut
trouver un moyen judicieux de les introduire, parfois de rectifier des idées
reçues. Dans un livre de science-fiction, pour peu que le cadre soit bien présenté, le lecteur accepte souvent l’univers décrit sans le remettre en question. C'est plus compliqué dans un roman historique, où la
reconstitution exige un grand soin, mais ajoute une richesse infinie, une
profondeur à nulle autre pareille.
Cela ne surprendra personne, toute la saga Chevaliers Noirs a nécessité d’intenses recherches sur de nombreux points précis.
Pour n’en citer que quelques-uns : les plantes médicinales, l’extraction des
flèches après blessure, les miroirs d’étain et de fer, les déclencheurs des
engins de siège, l’allure des baudriers, l’ornementation des façades, les motifs
des broderies, la forge des armes, les procédés de banque et de change…
Même les prix, pourtant
indiqués en monnaies fictives (mais fondée sur l’étude de pièces
historiques), sont d’époque et proviennent des 11e et 12e
siècles, parfois ajustés sur l’inflation quand seuls ceux des 13e –
14e étaient connus.
Ainsi dans la Saga, les prix reflètent une réalité d'époque en termes de pouvoir d'achat…
Le cadre de référence de Chevaliers Noirs est l’époque romane, à savoir les 10e – 12e siècles. Se rapprocher du réalisme
historique ouvrait toute une série de perspectives fascinantes concernant les
constructions, le costume, les tissus, bref permettait de renouer avec le passé
et le génie des artisans de l’époque. J'ai introduit de rares éléments issus du
haut moyen âge, parfois jonglé avec les cultures et civilisations, mais toujours
en connaissance de cause, et après mûre réflexion. Il y a très peu de choses gratuites.
Ainsi au détour de l'intrigue, vous trouverez dans Chevaliers Noirs plus d'une peinture fidèle des conditions sociales, de l'architecture, de l'urbanisme, des armes et armures, du vêtement, du mobilier, et de la vie quotidienne tels qu'ils existaient du 10e au 12e siècle.
En revanche il y a une
modification majeure, car dans la Saga figure le cadre de vie du moyen âge
central, au milieu d’une terre alternative dont j’ai reconstruit les royaumes, la
géographie, et toute la toile de fond. Ce monde a son histoire, ses entités
politiques, ses traditions, et même ses monnaies.
Parmi mes hypothèses de travail figuraient : Que se serait-il passé, si les événements historiques avaient suivi un cours alternatif ? Si des castes de
guerriers s’étaient formées à la chute de Rome, pour contribuer au retour de la
civilisation ? Si des idées légèrement différentes s’étaient répandues dans la
société médiévale ?
Habitué à la rigueur des
essais historiques, j’avais du mal à concevoir qu’on puisse les mélanger à des
perspectives imaginaires et des hypothèses, aussi intéressantes soient-elles.
Mais j’ai approfondi ce monde,
et aujourd’hui il est riche et se suffit à lui-même. Il est même complètement cohérent.
Riche du cadre de vie du moyen
âge réel, cette « terre alternative » ressemble comme une jumelle à la vraie,
l’historique.
On trouvera donc dans
Chevaliers Noirs l’époque médiévale – déjà suffisamment exotique en soi – dans
une toile de fond subtilement étrangère, parce la géographie n’est pas la même
et que l'histoire ne s’est pas déroulée exactement de la même manière. Vous pouvez vous attendre légitimement à des surprises.
Les Ordres de chevaliers
historiques ont à l’origine été créés dans des buts religieux et militaires.
Ici, c’est dans le contexte de la chute d’un empire digne de Rome et de
l’écroulement général de la civilisation, que de tels Ordres se sont formés,
afin de préserver ce qui pouvait encore l’être. Que se serait-il passé à la fin
de l'Empire romain, si quelques personnes avaient réussi à maintenir des pans
entiers de la civilisation ? Le moyen âge qui renaît peu à peu avec les
Carolingiens, n’aurait-il pas vu sa période la plus sombre écourtée ?
Comme un intéressant postulat,
les Ordres de Chevaliers Noirs me permettent d’explorer les arts du combat et la
guerre au moyen âge, comme les intrigues de cour et les subtils jeux du pouvoir,
puisqu’ils en sont nécessairement proches, voire constituent la force-clef sur laquelle s'appuie tout le continent.
Tout comme les Ordres de chevaliers historiques ont pu dévier, passant parfois d’une pauvreté revendiquée à une
accumulation de richesses et de biens, les Ordres Noirs de ce récit ont
également dévié. Non contents d’accumuler des fortunes, ils sont devenus au fil
du temps de véritables forces politiques, voire des états insulaires avec des
prérogatives. Assoiffés de pouvoir, ils ont alors commencé à préserver en premier
lieu leurs intérêts, et à utiliser certains souverains comme marionnettes pour
s’affronter.
En clair, les Ordres de
Chevaliers Noirs sont passés du statut de protecteurs, à « la main derrière les
trônes » qui fait et défait les rois.
Une hypothèse qui n'est pas si éloignée de la réalité: c’est parfois arrivé historiquement.
Une grande partie de l’intrigue se
déroule en temps réel: c’est à dire que le temps s’écoule selon ce qui a été
nécessaire aux personnages pour accomplir leurs actions. Les déplacements des protagonistes ont été calculés, et le passage du temps minuté de manière réaliste.
Les voyages à l'époque étaient des entreprises complexes selon le terrain,
l'état des routes, la condition des montures, la fatigue des participants, la
disponibilité de bonnes cartes ou d’indications orales. Ainsi, les personnages
évoluent dans ces lieux comme s’ils existaient réellement, et selon les
conditions de l'époque.
Un avertissement cependant, concernant le temps réel. En début de chapitres figurent souvent des indications
horaires. Au moyen âge, personne ne pouvait facilement mesurer le
temps. Les clepsydres et sabliers à huile existaient, mais étaient réservés aux plus
riches qui les consultaient rarement. L’horloge de beffroi n’apparaît
qu’à la fin du 13ème siècle. Les cadrans solaires étaient approximatifs. On
brûlait par exemple une chandelle pour avoir une idée du temps écoulé. La vie
était rythmée par le passage des saisons, les moments de la journée comme le
matin, le midi, le soir, mesurés par l’ombre portée et scandés par les chants
religieux des monastères.
Dans Chevaliers Noirs, les
protagonistes ont des notions du temps, mais aucun moyen de le mesurer de façon
ultra-précise. Les indications horaires en débuts de chapitres sont
essentiellement réservées aux lecteurs.
Dans la saga, toutes
les distances et poids ont été convertis en mesures modernes. Au moyen âge,
chaque terroir, parfois chaque village disposait de ses propres mesures. Ainsi, une
once à Troie n’était pas la même qu’à Paris. Une livre, selon les provinces,
variait de 380 à 550 grammes. La livre carolingienne fluctue au cours du temps,
passant de 445 à 491 grammes. Parmi les distances, la coudée, l’aune, et la
lieue sont très approximatives, variables d’un endroit à l’autre. Durant une
grande partie de l’Histoire, il n’existe pas de standards pour les mesures ; les
étalons tel que le mètre et le kilogramme sont des innovations récentes.
J’ai fait des essais en faisant
parler les personnages en aunes, lieues, boisseaux, setiers et muids, mais
c'était peu pratique. Finalement, j’ai tout converti en mètres, litres, et
kilos. Ce qui m’importait, quand j'écris que des cavaliers « approchent à 150 mètres », c’était que le lecteur puisse
visualiser instantanément.
J'assume pleinement.
Mais il est temps de revenir à la pratique : les livres…