ENTRETIEN AVEC HUGUES DELALANDE

Q:
Comment vous est venue l'intrigue ?
Peu à peu, en partant à l'origine de la Prophétie, puis en creusant le
caractère des personnages jusqu'à ce que tout se tienne et qu'ils deviennent
comme de vielles connaissances. C'était un processus de maturation. Puis j'ai croisé les fils d'intrigue, jusqu'à savoir exactement où j'allais. Même s'il reste
une part d'improvisation dans les creux de certaines scènes.
Je glisse parfois des détails très importants, des pistes, qui n'ont l'air de
rien mais sont absolument cruciales pour plus tard. J'essaie de m'adresser aux sens du lecteur, d'alerter sans télégraphier, de
jouer sans cesse sur l'anticipation. C'est comme un thème discret dans une
composition musicale, qui reviendrait avec force pour le morceau final. Et pour
l'instant, les lecteurs n'ont pas repéré mes coups de théâtre les plus
importants.
Q:
Qu'en pensent-ils ?
Les lecteurs sont très enthousiastes. Ils disent qu'ils tournent les pages,
rentrent facilement dans Chevaliers Noirs et se posent beaucoup de questions sur
ce qui va arriver. C'est un livre interactif, au sens où ils
s'impliquent. Je ne sais pas à quoi c'est dû, mais ils sentent qu'on ne leur dit
pas tout, et du coup ils essaient de deviner la suite.
De plus, l'histoire ne suit pas une trame classique, donc
prévisible. Il y a de nombreux thèmes dans Chevaliers Noirs, et l'intrigue
évolue, prend des directions inattendues, ce qui contribue sans doute à
maintenir les lecteurs dans l'expectative.
Et puis dans ce livre, les lecteurs sont comme situés à côté des personnages. Quand
on se doute qu'un personnage est en train de mentir, on
dresse l'oreille…
Q:
Ces personnages, comment les avez-vous approchés ?
En me mettant à leur place, ce qui revenait à franchir plusieurs barrières. Je
devais traverser les frontières, celle du passé pour
me couler dans leur peau, les rendre accessibles sans tout révéler. Lorsque je les
comprends bien, les scènes s'écrivent plus facilement. Il y a aussi la barrière culturelle du moyen âge, mais heureusement c'est une époque
que je connais bien. Je suis toujours
occupé à lire des essais historiques et faire des
recherches.
C'était parfois plus difficile : certains
personnages ne me ressemblent évidemment pas, or il faut toujours parvenir à adopter leur point de vue pour
que ce soit réussi. Je voulais que
tous ces personnages, au demeurant nombreux, qui vivent dans un cadre
prodigieusement éloigné du nôtre, soient instantanément compréhensibles,
accessibles, vivants. Mais c'est le but de toute
fiction historique…
Q:
Il y a des passages, dans les trois premiers Volumes, qui laissent penser que tout
finira mal…
Je ne peux pas m'étendre sans gâcher votre plaisir. C'est la part d'inconnu qui ne sera pas levée, bien que je connaisse l'exacte conclusion de l'histoire jusqu'à ses dernières répliques. Ces livres
constituent un voyage, un cheminement pour les personnages comme le lecteur.
Autrement ce ne serait pas authentique ni intéressant.
Concernant le final, il sera peut-être plus ambigu ou plus
surprenant que ce que vous attendez. Disons qu'un bien peut s'avérer un mal, ou inversement. Mais je dois laisser des mystères pour tirer le récit en avant, qu'il y ait des
frissons, que vous soyez en attente du dénouement... et surpris par les
rebondissements entre-temps.
Q:
Y a-t-il un seul héros dans Chevaliers Noirs ?
Non, il y en a deux. D'où le titre de la Saga « Chevaliers Noirs » au pluriel. On
suit de près deux chevaliers aussi atypiques et importants
l'un que l'autre. D'ailleurs c'est un récit sans véritable « méchant ». C'est
beaucoup plus complexe que ça. Finalement, vous aurez peut-être du mal à
prendre parti dans la Saga. Vous vous inquièterez pour plusieurs
personnages, vous vous préoccuperez d'eux, et vous aurez du mal à les
ranger dans des cases et à les définir
sommairement.
Mais si vous vous demandez au final de quel côté vous êtes, si vous en
arrivez là et que vous les appréciez tous, alors j'en serai très heureux car j'aurai réussi à retranscrire ce que je voulais.
Aucun des personnages ne remplit un rôle. C'est plus intéressant qu'ils aient de
la profondeur, que vous cous demandiez dans quel
but ils agissent, et que vous finissiez par les comprendre. C'est sans doute ce qui contribue au charme des livres. Ils ont de la substance et on ne vous
dit pas tout, donc vous vous impliquez.
Q:
Comment réglez-vous les combats aux armes blanches ?
Je m'y connais, c'est une passion. Mais je fais aussi de longues recherches. Je m'assure que tout soit réaliste, selon les
manuels d'escrime du 14eme siècle restés en notre possession, les travaux des
spécialistes, ceux des historiens. J'y passe un certain temps en étudiant
parfois les mouvements avec de véritables armes, j'analyse
des vidéos de passionnés qui ont la même démarche : reconstituer l'escrime
médiévale d'après les sources historiques. Quand le combat semble réaliste et prenant, je cherche un style d'écriture qui permette au lecteur de comprendre
instantanément ce qui se passe, tout en lui donnant des
sensations subjectives. Le but est qu'il puisse
sentir l'action, en rentrant dans la peau
des combattants, sans évidemment connaître toutes les techniques d'escrime
médiévale. C'est un travail énorme, pour des paragraphes qui passent à toute
allure. Mais les attaques et parades décrites étaient employées à l'époque, et fonctionnent dans les situations décrites. De tels
combats peuvent parfaitement se produire, et c'est grisant car il y a un réel suspense.
Parfois je suis resté longtemps à étudier une attaque spécifique, décrite par un maître d'armes d'époque. Cela pourrait facilement devenir le
travail de toute une vie. Ma démarche est de tout comprendre pour mieux le restituer. Pour un Volume ultérieur de Chevaliers Noirs, j'ai même
analysé les restes squelettiques sur les champs de bataille du moyen âge. C'est édifiant, on est très éloigné des clichés où l'on casse trois chaises sur le dos de quelqu'un qui se relève, mais au contraire dans quelque chose de très prenant
et primordial, où l'on joue sa vie. Mais je me suis contenté de lire des études,
je n'ai pas été fouiller sur place.
Q:
Vous avez jeté deux versions avant d'aboutir à celle-ci. Cela a été
difficile ?…
Non au contraire (d'ailleurs certains auteurs en jettent davantage). J'avais
enfin compris mes personnages et comment résoudre les
dernières situations. J'ai énormément travaillé jusqu'aux derniers jours
précédant la parution, dans
l'intérêt du manuscrit. J'ai beaucoup écouté
mes premiers lecteurs, mais personne ne m'a imposé de mettre quoi que ce soit
dans la Saga, qui reste une oeuvre personnelle, au lieu d'essayer de
coller aux goûts du temps et de vouloir plaire à tout prix. J'ai aussi
choisi de ne jamais prendre mes lecteurs pour des imbéciles, et de leur offrir
quelque chose de fouillé, qui s'adresse aussi bien à leurs sens qu'à leur
intellect, et évidemment leurs émotions.
Ma démarche est de faire quelque
chose d'ultra-authentique, mais surtout pas
didactique, au contraire excitant. Alors si vous appréciez ce genre d'histoire, je vous en prie montez à bord et
prenez y autant de plaisir que moi.
Q:
Vous faites particulièrement attention aux détails…
C'est une remarque que me font souvent les lecteurs : ils trouvent les livres très
visuel. Ils ont spontanément des images qui leur viennent à l'esprit en lisant. Il y a un véritable travail de ma part, pour composer le cadre,
dépeindre logiquement les éléments à l'avant et l'arrière-plan. Vous pouvez être certain que les recherches historiques sont faites,
et que je me suis représenté les protagonistes sur les
lieux comme s'ils y étaient, en cherchant une perspective afin de susciter une
image. C'est parfois presque subliminal. Pour la Forteresse
par exemple, avec cette lumière si particulière aux intérieurs médiévaux, je me suis inspiré des tableaux de
maîtres hollandais.
Ou encore juste avant le début d'un combat, il y a une grande tension et tout se ralentit
avant « l'explosion subite », alors je passe parfois
plusieurs instants sur un détail, une mouche qui vole… Je voulais que ces livres
soient « différents » par leurs qualités visuelles.
Et comme le moyen âge est finalement très éloigné de nous, je suis heureux
de donner aux lecteurs envie de le découvrir, de les aider à comprendre
l'ambiance, de partager des images avec eux. Ce sont avant tout des
romans à suspense, mais ils représentent aussi un voyage à l'époque médiévale. Je pense que c'est avant tout une solide intrigue avec des personnages excitants. Mais si elle provoque de la
curiosité pour l'époque, tant mieux. Et si vous gardez des images en tête, parfait.
Q:
Mais vous reconstituez le moyen âge dans un monde réinventé ?
Oui, c'est paradoxal mais pas antinomique. C'est un monde alternatif, très
proche du moyen âge réel des 10e - 12e siècles pour tous les détails de la vie
quotidienne, qui ont fait l'objet d'une reconstitution historique soignée.
Regardez de près, et vous êtes au moyen âge. Il n'y a
pas grand chose de gratuit, seulement quelques éléments exotiques. Mais ce monde diffère subtilement à grande
échelle. C'est un univers riche et fouillé, qu'on découvre peu à
peu au gré des tenants et aboutissants de l'intrigue. Il est vaste, et cohérent lui aussi. Vous avez les repères du moyen âge, et soudain tout
change. Mais cela fait partie du charme de Chevaliers Noirs que de cumuler une
reconstitution historique fidèle dans un monde réinventé. Vous aurez plusieurs
surprises… Par exemple les ordres de chevaliers sont là, mais
diffèrent par bien des points des templiers et des hospitaliers d'époque.
Q:
Quelles sont vos scènes préférées ?
Par exemple celle où Maximillien marche vers la potence dans « la
procession » (CN3). J'aime particulièrement le point de vue de cette scène. Je crois
que c'est quelque chose d'authentique, voire d'essentiel. Une autre est « Chambre avec vue » (CN1), où l'ambiance entre le courtisane et l'Homme Sombre est
pleine de charme. En voilà deux qui pourraient n'avoir qu'un vulgaire rapport
pécuniaire, et ont une relation troublante, à la Bogart - Bacall dans « Le port de l'angoisse ». Mais il y en a d'autres dont « Illusions, simulacres »,
et « Étranges enluminures » pour le vertige de Tania (CN2). On me parle aussi souvent
du chapitre dans le « Labyrinthe », mais je préfère les deux suivants (dans CN3).
Q:
Ces chapitres décrivent une situation qui culmine sur près de 70 pages.
Oui au début on croit que ce sera bref, qu'ils s'en sortiront facilement, et
puis non, il y a des imprévus, des retournements pour le pire qui s'accumulent, et on se dit qu'ils n'y arriveront jamais, que ce n'est pas
possible qu'ils en réchappent. Et cela continue, ils s'en sortent de justesse,
et ils rejouent de malchance. L'ensemble de l'évasion est construit avec
l'envie de repousser les limites comme dans une chorégraphie. Mais tout reste
plausible dans ces chapitres, jusqu'à l'architecture des différentes parties de
la cité. Après des scènes intimistes
à huis clos, j'avais envie de conduire le lecteur jusqu'à un final haletant avec des sensations fortes,
le souffle aussi court que ceux des personnages. L'ensemble reste très fidèle à la
réalité des cités médiévales, avec l'ambiance des rues qu'on voit défiler à
toute allure. J'aurais bien voulu trouver un autre roman, avec un passage
équivalent pour m'en inspirer. Mais s'il y a un autre livre qui décrive une
telle scène d'évasion dans une cité médiévale, avec un tel niveau de réalisme, je n'en connais pas.
Q:
Où peut-on trouver vos livres ?
Sur mon site, vous trouverez tous les liens distributeurs, avec une liste perpétuellement à jour :
www.huguesdelalande.com/fr/dn/index.html
Vous pouvez aussi saisir le titre « Chevaliers Noirs » sur Google ou Bing.
Q:
Un dernier commentaire, avant de nous quitter ?
Les retours des lecteurs ont été très gratifiants.
Mais si les premiers livres ont plu, tant mieux, parce qu'il y aura d'autres Volumes à suspense et rebondissements dans la suite de la Saga.
Q:
Que pouvez-vous nous dire sur cette suite ?
Tragique, poignante, mystérieuse... Vous ne verrez pas où je veux en
venir… et puis j'espère bien vous surprendre...